« Couronnavirus » ou l’analyse d’un Malgache sur le prêt de la coiffe du dais royal de Ranavalona III
Ce texte que nous partageons a été écrit par Mika Nirina Andriambelo, un jeune Malgache sortant de l’IEP de Madagascar et de l’Université de Paris Dauphine. Nous trouvons son analyse autour de la coiffe du dais royal de Ranavalona très pertinente, raison pour laquelle nous la publions sur notre site. Nous vous invitons également à la partager au plus grand nombre.
Couronnavirus. Titre loufoque et caustique certes, mais ces derniers jours, une maladie toute aussi loufoque a sévi sur les toiles du FB.mg. Une fièvre ayant eu (encore une fois) comme épicentre la communication présidentielle fallacieuse au sujet du « retour de la couronne de Ranavalona III » sur les terres malgaches.
Et si le coronavirus nous avait imposé la distanciation sociale, la Couronnavirus, elle, a soudainement permis l’attroupement sans précaution aucune, d’une certaine idée du gratin malgache, autour des ors de la république simili-monarchique. Nous faisant même demander si la fin de l’état d’urgence sanitaire et l’annonce de la victoire sur la Covid-19 relevaient plus de l’arbitrage sanitaire ou de la nécessité de passer rapidement à autre chose, histoire d’avoir quelque chose de bon à mettre au crédit de l’exercice sclérosé de l’année 2020.
Presque arrivé à mi-mandat, c’est la course aux petites victoires et aux symboles qui se joue pour le PRM, qui a fait de la campagne électorale permanente son cheval de bataille. On ne lui en voudra pas forcément : l’homme politique dit-on, pense à la prochaine élection, l’homme d’état à la prochaine génération. Dans la froide arène de la realpolitik, l’on dira que l’un n’empêche pas forcément l’autre. Ce qui pêche toutefois, c’est la vraie nature des victoires que le pouvoir essaye de sanctifier.
1) Couronne de Ranavalona III nous a-t-on servi sur un plateau, lors des premières communications officielles de la présidence. Coiffe du dais de la couronne royale a-t-on vite rétorqué du côté des civils, experts comme citoyens aguerris : « haingon’ny lapihazo fikabarian’ny Mpanjaka » donc et non « satroboninahitra ». Il n’a pas fallu longtemps avant que resurgissent les propos du journal Le Monde, qui dataient déjà de la première tentative de récupération dudit dais : « il ne s’agit pas d’une couronne au sens où on l’entend communément, s’empresse de préciser Ariane James-Sarazin, directrice adjointe du Musée de l’Armée, cette pièce est un élément décoratif en forme de couronne qui coiffait le dais utilisé par la reine Ranavalona III lors des événements solennels appelés Grand Kabary au cours desquels elle s’adressait à la population ». Voilà un bien pénible affront fait à la véritable couronne en vermeil, ornée de sept fers de lance représentant les sept maisons princières (les amateurs du Royaume des Sept Couronnes apprécieront ce clin d’œil) et surmontée d’un aigle, dérobée dans le Palais d’Andafiavaratra en 2011… en pleine transition politique.
2) Rétrocession de l’objet nous a-t-on ensuite dit. Là encore, le doute a sévit rapidement. Et pour cause : comme n’importe quel bien faisant partie du patrimoine français (au sens juridique du terme), la coiffe du dais de la couronne est soumise au principe de l’inaliénabilité des collections, en droit constitutionnel français. La cause malgache a cependant pu bénéficier d’un cadre institutionnel favorable : depuis le rapport Savoy-Sarr sur la restitution des biens cultures africains, les musées de France font face à plusieurs demandes de rétrocession de biens « pris » durant les colonisations. En l’occurrence, le nôtre, aurait été selon l’expertise du Musée des Invalides, offert à l’institution par un ancien membre du corps expéditionnaire français à Madagascar. La même expertise souligne qu’il ne s’agit pas d’un trophée de guerre, comme cela a pu laisser être dit, même si un voile de mystère entoure encore la façon dont ce résident français a pu prendre possession de la relique. Toujours est-il que la rétrocession n’est toujours pas actée : ce qu’on nous présente comme un retour est en fait le fruit d’une convention de dépôt entre les deux pays, une sorte de mise à disposition (pour éviter le terme de « prêt »). Seule une loi spécifique votée par le Parlement français pourra entériner la rétrocession définitive de cet objet à Madagascar. D’ici là, le dais de la couronne nous appartient certes historiquement, mais elle appartient juridiquement aux collections artistiques françaises : cela, il importe de l’avoir bien à l’esprit.
Malgré ces deux accrocs qui auraient pu faire l’objet d’un erratum, la célébration put avoir lieu, au terme d’une longue procession comme la capitale n’en a plus vu depuis la venue du pape François. D’ailleurs, lors de sa visite en 2019, le souverain pontife avait souligné les limites auxquelles font face le peuple malgache, et notamment les jeunes, dans la prise en main de l’avenir du pays. On connaissait la corruption des élites, la déforestation, la marginalisation des plus pauvres, mais l’évêque de Rome avait alors souligné en plus « l’appauvrissement culturel des peuples ». Comme si frappés d’une surdité par rapport à ses mises en garde, c’est à un tel appauvrissement que nous nous sommes adonnés vendredi dernier en rebaptisant l’Anatirova sous le nom de « Rova de Madagascar ».
Une dénomination qui s’inspire sans doute de la vulgate populaire selon laquelle l’unification de Madagascar s’est faite par l’égide des conquêtes du royaume de l’Imerina, mais qui omet de préciser que cette unification n’a jamais été complète et que l’appellation « Royaume de Madagascar » a été consacrée, imposée par une puissance étrangère en vue de pouvoir passer des accords diplomatiques avec une autorité royale dont la légitimité sur l’ensemble du territoire malgache restait encore à démontrer. Que dire du ministère compétent qui en laissant passer une telle aberration, se vautre à la fois sur la communication et la culture ? Encore une fois, il ne nous appartient pas en tant que République de renommer ces lieux, empreints et héritiers d’une histoire déjà arrivée à son terme. Notre rôle est d’entretenir le souvenir, perpétuer la mémoire de ces lieux, afin de les transmettre en l’état à la nouvelle génération. Aucune onction républicaine ne saurait se prévaloir de la légitimité à modifier à un tel point l’identité du patrimoine.
Enfin, il importe de noter la prégnance de « l’unité nationale » comme pierre angulaire du discours étatique. Terme tellement dévoyé qu’il ne semble plus vouloir dire grand-chose. Le dais de la couronne, un symbole d’unité nationale ? Le « Rova de Madagascar », un symbole de souveraineté nationale ? Il semblait aux yeux de votre serviteur que l’hymne, la Constitution, la monnaie et le territoire suffisaient largement à témoigner de l’unité et de la souveraineté nationales. La diplomatie, l’éducation et la culture devant par la suite les affermir. Sans doute a-t-il été préférable pour le pouvoir de consacrer ces artefacts comme vecteur de souveraineté, à défaut d’avoir pu faire prévaloir l’intégrité de notre territoire national, comprendre par-là la rétrocession manquée des Iles Eparses pour le 60ème anniversaire de l’accès à l’indépendance théorique.
Tout ceci est le signe d’absence d’une vision claire de la politique culturelle, qui à défaut de construire la Nation, n’est qu’un outil au service de la propagande étatique. A l’image de Tanamasoandro pour la congestion urbaine de l’aire tananarivienne, des reports fiscaux accordés aux entreprises pour la sauvegarde du tissu économique en période de crise, et dernièrement du CVO pour la gestion de la crise sanitaire : on a de nouveau droit à un ersatz de politique, sur lequel il faudrait projeter et claironner à tout bout-de-champ la fierté nationale. Mais à force de vouloir faire plus clinquant, plus brillant, on finit par rater l’essentiel, à tomber dans les contre-sens et le hors-sujet, pour in fine se retrouver avec des fausses réponses apportées à de vraies questions.
Le lecteur averti aura compris qu’il ne s’agit pas ici de minimiser le retour de cet objet historique sur notre territoire, mais plutôt d’inciter à ne pas le prendre pour ce qu’il n’est pas. Il ne s’agit pas non plus de défaire le louable effort de restauration des Palais de Manjakamiadana et de Besakana accompli par la Présidence, mais plutôt d’alerter sur la réécriture impertinente de l’histoire qui s’exerce à travers l’appellation de « Rova de Madagascar » et la construction du Colisée de la discorde. Oui, il s’agit de lutter contre l’appauvrissement culturel d’un peuple dont l’état d’indigence est tel que le caprice de quelques-uns l’emporte toujours sur le bien-être du plus grand nombre.
Du reste, pourquoi n’en parler que maintenant ? Justement pour continuer à en parler, à soulever des questions citoyennes et à demander des comptes. Car ce qui est le plus dangereux dans la relation entre le pouvoir et les administrés, c’est la tendance des derniers à penser qu’une fois qu’une chose est faite, on ne peut plus y revenir. Le risque est l’éviction directe de ces sujets, et le retour au train-train quotidien comme si rien ne s’était jamais passé. Cette passivité sélective et cette amnésie soudaine doivent cesser car il s’agit là de la principale raison pour laquelle l’Etat entreprendra toujours jusqu’au bout des projets, aussi controversés soient-ils : une fois que ceux-ci seront construits ou aboutis, la contestation disparaîtra.
Et si vous n’avez plus d’idées pour mener la contestation aujourd’hui, gardez avec vous le souvenir de ces projets alambiqués. Car ceux qui gouvernent aujourd’hui viendront demain vous demander encore une fois votre suffrage. Et gageons qu’à ce moment-là, chaque citoyen votera en son âme et conscience, non seulement sur les promesses électorales saupoudreuses d’espoir, mais aussi sur la mémoire citoyenne qui fera son froid bilan des années passées.
Bien sûr, l’on pourra toujours dire que tout cela n’est que de l’abstrait : la culture ne nourrit pas le ventre, elle ne remplit pas directement les frigos ni les marmites. Mais il faut prendre conscience du fait que la culture est la nourriture de l’âme, et en l’occurrence, de l’âme malgache. S’il importe encore pour nous, de vivre en tant qu’ensemble dans toute notre diversité, il n’est pas une option de faire impasse sur notre histoire et notre culture, et ainsi de la laisser entre les mains de quelques communicants malvenus qui la détourneraient à des seuls fins politiciennes.
« Tout ce qui dégrade la culture raccourcit les chemins qui mènent à la servitude », c’est sur cette citation de Camus que je vous quitte pour cette fois, en espérant qu’elle participera tout comme ce texte, à nourrir votre âme citoyenne qui jamais ne doit dépérir.
Auteur : Mika Nirina Andriambelo
Tout est dit, rien à rajouter. ça reste le rovan Antananarivo, pour qui il se prend le Dj pour rebaptiser un monument historique qui ne lui appartient pas ? On ne change pas l’histoire pour de la politique et sa campagne électorale sans fin.
Pour qui, il se prend pour nous faire des leçons et puis faire un jeu de mot macabre ! Je le défierai à la prochaine élection.
Je ne suis pas tout à fait d’accord avec lui sur le royaume de Madagascar qui a bel et bien existé. Pour le reste, je suis d’accord avec tout ce qu’il a écrit. Apparemment, ce jeune a des ambitions présidentielles, je l’encourage et voterai pour lui. Il a vraiment un level+++++ et c’est ce qu’il faut pour Madagascar. Exit le Bac moins 3. Vivement !
Evidemment, avec un comité « scientifique » de pacotille, il fallait s’y attendre. Fallait prendre de vrais spécialistes et les écouter au lieu de les menacer quand ils démissionnent (cf professeur RAFOLO).
Je suis ce jeune homme depuis son premier article que j’ai trouvé vraiment très pertinent et là, il confirme qu’il mérite le poste de président de la république, contrairement au président actuel. Les deux ont bien 20 ans de différence d’âge et pourtant, les rôles s’inversent, c’est Mika Nirina Andriambelo qui a la position d’aîné et de sage, et l’autre est un éternel petit DJ en perpétuelle show et propagande.
Heureusement qu’il y a des personnes tel ce jeune bien instruit pour se passer un peu de baume au coeur et il mérite d’être connu de tous surtout au pays. Ce domelina détruit tout sur son trajet qu’il faut dévier et dériver ailleurs rapidement.